mardi 14 février 2017

Oral au cycle 3





L'oral, ça s'enseigne ?

Qu'est-ce que c'est qu'un élève doué à l'oral ? Comment enseigner l'oral ? Comment l'évaluer ? Comment rendre compte du travail à l'oral ?

L'oral est un élément central dans la classe. On le pratique tout le temps, en toute circonstance. Pour autant, est-il travaillé ? Fait-il partie de nos préoccupations ? 


La place pour l'oral dans les apprentissages
Peut-on hiérarchiser les compétences ? En tout cas, peut-on dire que, par exemple, l'écrit est plus important que l'oral ? Toutes ces compétences sont liées, elles s'enrichissent l'une et l'autre. L'oral a toute sa place dans les programmes mais il est plus aisé de mettre en place une séquence d'apprentissage de l'écrit qu'un apprentissage de l'oral. "Après tout, on parle tout le temps en classe. À quoi bon structurer un apprentissage ?"

"Les paroles s'envolent, les écrits restent." Certes, mais l'oral est une compétence centrale à acquérir. Elle est d'ailleurs un marqueur social très important. L'école doit donc être en mesure de bien le travailler.


Difficile à évaluer
L'oral est difficile à évaluer. Il est possible de programmer des situations de langages cadrées, structurées, avec des tours de parole (nous le verrons plus bas), mais de là à l'évaluer aisément, ce n'est pas gagné : "vas-y Lucas, parle-nous [...] D'accord ... Attendez ... Maintenant vas-y Juliette, réponds-lui". 

Dans les situations classiques, les échanges sont souvent très rapides, furtifs, et les auteurs imprévisibles. L'élève s'exprime-t-il correctement ? A-t-il bien pris en compte ce qui a été dit précédemment ? Son intervention apporte-t-elle quelque chose ? On veut aussi savoir si une intervention est pertinente dans la situation proposée. Cette intervention sera sûrement brève et noyée dans un flot d'échange. A moins d'enregistrer et de réécouter le soir, il est bien difficile d'avoir une vision claire de ce qui s'est passé pour chaque élève.

Et il y a les élèves qui parlent beaucoup, qui accaparent le temps de parole. Comment évaluer les autres ?

La multiplication des situations de langage, tout au long de l'année, permettra non seulement aux élèves de progresser mais aussi à l'enseignant d'entendre ce travail, d'avoir une vision pour chaque élève sans prendre beaucoup de note.


Quelle trace ?
Rendre compte de ce travail à l'oral est assez difficile. Il est donc important d'informer les parents au début de l'année du travail effectué à l'oral. On pourra passer pas mal de temps à travailler sans qu'une trace représentative ne soit apportée. Les élèves peuvent tout de même être amenés à écrire, sur un cahier, une trace de ce qu'ils ont retenu de leurs échanges. Par exemple, si on a parlé de la liberté lors d'un débat philo, ils écriront quelques lignes en réponse à "qu'est-ce que c'est que la liberté ?"


Être préparé
Pour cela, il faut être préparé, savoir ce que l'on va faire et ce que l'on attend. L'oral ne pourra donc être véritablement évalué que s'il est travaillé et donc préparé. 

C'est une compétence complexe dans le sens où elle nécessite plusieurs sous-compétences. Il faut notamment :
  • mettre en place un langage intérieur (réfléchir plus ou moins rapidement à ce que l'on a à dire),
  • tenir compte de ses camarades, adapter son discours à ce qui a été dit avant,
  • exprimer clairement sa pensée (mise en voix).

Quelques écueils

Le quoi de neuf ?
Je me souviens l'avoir pratiqué quand j'étais moi-même à l'école. Je l'ai à mon tour utilisé en maternelle. Puis j'ai voulu le lancer au cycle 3. J'ai fini par rapidement l'abandonner car il n'apportait pas grand chose de véritablement intéressant. Peut-être aurais-je dû le prévoir autrement. 

Si le quoi de neuf va être facilement investi par les plus grands parleurs, les autres écoutent ce que leur camarade a fait le weekend mais cela ne dépasse pas ce stade là. Si le "quoi de neuf" n'est pas cadré sur un thème pertinent, relié à des expériences de classe et donc partagé par tous les élèves, alors il n'y a pas d'échange. L'expérience n'est pas forcément d'une grande plus-value. 

Les exposés
Dès le CM1, les élèves sont très intéressés par la présentation de sujets qui les passionnent. Alors on peut être tenté de leur permettre de faire des exposés. Mais c'est encore une fois des élèves grands parleurs qui vont s'en investir, ceux qui osent prendre la parole. Alors on va pouvoir nous parler des minéraux : les silicates, notamment les calcites ou les gypses, mais aussi de plein d'autres gros mots ... Au final, il n'y a pas toujours d'échanges. L'oral que l'on doit attendre en CM1 ou en CM2 est plus une capacité à échanger qu'un apport en vocabulaire qui s'effritera à la sonnerie venue. De plus, faire un exposé s'apprend. Quel apprentissage ai-je proposé à mes élèves pour qu'ils fassent un exposé ?



Voici donc quelques propositions de travail ...


Comprendre et s’exprimer à l’oral
  • »  Écouter pour comprendre un message oral, un propos, un discours, un texte lu.
  • »  Parler en prenant en compte son auditoire.
  • »  Participer à des échanges dans des situations diversifiées.
  • »  Adopter une attitude critique par rapport au langage produit.
    Domaines du socle : 1, 2, 3 


L'oral, expression de la pensée
Pour cette partie, se reporter à l'article sur les ateliers philo et ateliers Boimare. Il s'agit là d'une mise en pensée, de forcer l'intériorisation de la pensée avant son expression. Retarder sa prise de parole et découvrir que l'acte de penser, de différer sa prise de parole, permet d'enrichir ce que l'on a à dire. Avoir une réflexion intérieure est également une source de plaisir. Car bien souvent, nos jeunes élèves sont dans l'immédiateté, dans le besoin d'exprimer immédiatement leur pensée sans écouter correctement son camarade, du moins sans tenir compte des informations apportées par ce dernier.

L'oral est alors la résultante d'un processus de mise en pensée qui peut bien souvent faire défaut aux élèves. Un élève bon à l'oral n'est donc pas forcément un élève désinhibé. C'est parfois le contraire. Un élève qui monopolise la parole peut aussi être dans l'incapacité de mettre en place une réflexion. "Parler en prenant en compte son auditoire". "Comprendre un message oral, un propos, un texte lu".


L'écrit vs l'oral
Il ne faut pas oublier que l'écrit et l'oral sont fortement liés. Ils ne s'opposent pas. Ils se nourrissent l'un l'autre. En classe, l'écrit va pouvoir précéder l'oral. Avant un débat, un atelier de langage, on peut demander aux élèves d'écrire sur un cahier de brouillon quelques idées sur le thème qui va être abordé. Cet écrit reste personnel, ne sera lu par personne d'autre que l'élève. L'écrit force la pensée et précède en cela le travail que l'on fera à l'oral. L'écrit peut aussi venir à postériori, après les ateliers de langage. Il permet de voir l'influence des échanges oraux sur la pensée de l'élève. Ainsi, l'écrit va permettre de laisser une trace sur le travail oral. Il ne faut pas oublier qu'il existe un oral interne, la pensée, qui n'a peut-être pas pu ressortir vocalement au moment des échanges.

Malgré l'interdépendance de ces deux compétences, oral-écrit, on privilégie souvent l'écrit. On lui accorde toutes les bonnes valeurs : l'oral serait le français familier, l'écrit le français réfléchi. C'est oublier qu'il y a des écrits plus ou moins formels (idem pour l'oral). On écrit de plus en plus avec les réseaux sociaux ou l'écrit prend une forme d'oral familier. A l'inverse, un discours est une forme d'oral très écrit. Quand on travail l'oral, encore faut-il savoir quel oral.


Quel oral ?
Tout d'abord, il faut savoir que l'oral implique un grand nombre de compétences : des compétences vocales (contrôle du débit, fluidité, intensité), la gestuelle, la cohérence du propos, la capacité à s'insérer dans un domaine particulier pour en reprendre les codes et le lexique (l'oral de la littérature, de la géographie, des sciences vont être bien différents).

Plusieurs compétences sont donc attendues en matière d'oral. Il faut donc bien savoir ce que l'on fait travailler au moment d'organiser nos apprentissages :

  • Parler dans l'interaction, la réponse à un propos.
  • Capacité à parler de façon différée, parole intérieure, penser.
  • Intégrer ce qui a été dit. Nuancer son propos en fonction de ce qui a été dit.
  • Parler sans interaction, élaborer un discours.
Les freins pour certains élèves : 
  • Introversion.
  • Syntaxe et lexique insuffisant pour arriver à exprimer et élaborer pensée.
Pour permettre aux élèves présentant ses freins, il est possible de prévoir des ateliers en amont de l'exercice oral : présenter des supports sur le thème qui sera traité pour apporter du lexique et anticiper les sujets de réflexion.


Ci-après, quelques propositions de travail sur l'oral, en plus des ateliers de langage présentés dans un autre article. 


Des échanges dans des situations diversifiées

Le débat mouvant
Il s'agit là de se positionner physiquement, avant d'exprimer oralement. 
  1. Une personne, le professeur pour la première séance, affirme quelque chose. En partant de cette affirmation, les élèves se positionnent du côté de cette personne s'ils sont d'accord avec lui, et de l'autre côté s'il ne le sont pas.
  2. Pour les premières séances, on peut prévoir une "rivière du doute" qui sépare la salle en deux pour les élèves qui ne savent pas de quel côté se positionner.
  3. Dans chaque groupe, on demande à un élève "représentant" d'exprimer les raisons de son positionnement. Il doit trouver un argument. De là, il est possible de créer des sous-groupes. Si un élève est d'accord pour une autre raison, alors, il exprime son avis et se positionne dans un autre coin de la pièce. Les autres élèves choisissent alors auprès de quelle idée ils se trouvent le plus proche.
  4. Une fois les sous-groupes réalisés, un représentant de chaque groupe exprime à nouveau des raisons pour lesquelles il faut être dans son groupe, mais sans être en opposition aux autres groupes. Ensuite, pour faire vivre le débat, des élèves peuvent réagir à ce qui est dit dans un autre groupe.
  5. Les élèves peuvent donc se déplacer physiquement et rejoindre un autre groupe s'ils sont convaincus par ce qui vient d'être exprimé.

Dans cet exercice, on n'est pas obligé de prendre la parole mais on s'exerce à écouter ses camarades et à adopter une position. La phrase initiale doit être suffisamment polémique dans le sens où elle peut permettre aux élèves de se positionner.


La phrase débat peut être nouvelle, inédite. Mais elle peut aussi être issue d'un travail préalable de recherche, afin que les élèves aient eu le temps de se faire une idée sur le sujet. Cela peut donc être une phrase issue d'une réflexion lors des ateliers philo. Cela peut aussi être issu d'une lecture documentaire qui nous éclaire sur un thème particulier (exemple ci-après avec le dossier documentaire joint).


Le débat partisan
Ici, deux groupes s'opposent. La spécificité vient du fait que l'on impose un positionnement à l'élève. Il ne choisit pas son groupe. On lui demande de défendre une position. Le travail consiste alors à trouver les arguments du camp défendu. En cela, on pourrait aussi appeler ce travail le jeu de "l'avocat".

On peut aller jusqu'à quatre personnes par groupe, le reste de la classe faisant partie des "spectateurs". Ces derniers ne sont pas inactifs. Ils peuvent éventuellement se positionner physiquement d'un côté ou l'autre des groupes, selon leur approbation de tel ou tel argumentaire. De plus, même si l'on ne participe pas oralement au débat, écouter les échanges permet d'y participer intérieurement.

Dans ce cas, des supports sont les bienvenus pour fournir à l'élève des éléments pour sa prise de parole.



Des supports
  1. Lire 
    • »  Comprendre des textes, des documents et des images et les interpréter. 
    • Domaines du socle : 1, 5 





La mise en voix
Doublage de vidéos
L'oral, c'est aussi une mise en voix. A cette fin, j'ai pu préparer un travail de doublage. Comment faire ?

  1. Trouver une application de doublage. J'ai pu trouver "Dubbing" pour iPad.
  2. Plutôt que de s'embêter à télécharger une vidéo muette, filmer sur sa télé ou son ordinateur un dessin animé ou un reportage animalier sans le son. Des dessins animés comme Peppa Pig sont faciles à doubler pour les enfants. On voit bien le mouvement de la bouche des personnages. Ils ne parlent pas en même temps. Eviter également les vidéos qui incitent à faire trop de bruitage, et peu de dialogues (du type "hey hein arrrrgh hahaaa").
  3. Inviter, en ateliers, les élèves à regarder la vidéo pour comprendre l'histoire. Créer son histoire. Doubler la vidéo. Enregistrer.
  4. Ecouter en classe les productions des élèves.
Exemple de production :


Pour cet atelier de mise en voix, il faut donc : comprendre le sens de la vidéo, inventer des dialogues (plus ou moins improvisés), et bien sûr mettre le ton pour créer une scène crédible.

Mettre de la voix sans avoir à être filmé, sans avoir à montrer son image, permet à l'élève de se lancer plus facilement dans le travail. Le doublage les rend moins timides. Ceci dit, l'écoute n'est pas toujours facile. Il faut aussi apprendre à écouter sa voix. Cette partie n'est pas toujours la plus évidente mais elle est en revanche une excellente expérience. Elle permet de se rendre compte de ce que l'on offre à entendre aux autres et permet de corriger certaines façons que l'on a de s'exprimer (intensité de la voix, linéarité, bredouillage, ...).



S'écouter parler
Armé d'un enregistreur, l'élève s'enregistre en train de lire une histoire. On travaille ici sur la qualité du rendu, sur le travail langagier individuel. S'entendre est assez difficile, même pour un adulte, mais est très instructif. On se rend parfaitement compte du rendu proposé à ceux qui nous écoutent. Ainsi, on arrive assez rapidement à cibler les éléments sur lesquels on doit faire des progrès.

L'enregistrement peut aussi se faire sur de courtes discussions en petit groupe. Ainsi, on est moins sur la diction mais plus sur la pertinence et la qualité d'un propos spontané. L'enseignant doit avoir conscience de ce qui est travaillé dans cet atelier pour guider les élèves lors de la production, apporter une médiation efficace. Mais il doit aussi bien expliciter ce qui est attendu lors de la réécoute, sans quoi l'élève aura de grandes difficultés à juger de la qualité de son intervention. L'élève n'est pas autonome dans son évaluation. "Qu'attend-il de moi ?" 

On peut attendre par exemple que l'élève s'insère dans une discussion commune, prenne en compte ce qui a été dit avant, qu'il explique ou qu'il raconte, qu'il justifie. Si on ne le guide pas, l'élève pourra alors parler de son volume, de ses hésitations. Il dira peut-être que c'est bien parce qu'il pense que c'est la bonne réponse alors qu'il n'est pas rentré dans un échange avec ses camarades.



L'oral, outil d'un autre apprentissage
Ici, l'élève échange en pensant travailler uniquement sur un domaine ciblé des apprentissages : la compréhension d'une lecture, les sciences, l'histoire ... Ces échanges sont d'ailleurs très utiles dans le domaine en question. Mais l'enseignant lui, fourbe qu'il est, effectue sa médiation dans le but de travailler l'oral. 

Quelques exemples :

  • Sciences

Un mort-vivant, c'est mort ou c'est vivant ?
Les élèves échanges sur ce qui fait que l'on est en vie ou non. Pendant ce temps, l'enseignant, sans prendre partie, demande "pourquoi ?" ou bien "comment ?" On observe ainsi les échanges passionnants entre les élèves en essayant de voir s'ils parviennent à justifier leur intervention, si ce qu'ils ont à dire apporte quelque chose de nouveau, s'ils prennent en compte les remarques des camarades.

  • Histoire
Les élèves se mettent dans la peau des personnages et échangent sur les grandes décisions qu'ils doivent prendre.

  • Lecture

Travail sur la compréhension d'un passage qui peut poser problème. Echanges en groupe sur cette compréhension. Justification, approbation, expression du doute et explication.





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